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488 GAZETTE DES BEAUX-ARTS chambre », des coteries, des petites églises. Son indépendance deve¬ nait farouche, un peu intransigeante. Quelques-uns de ses confrères en vogue lui semblaient parler un langage étranger, peu com¬ préhensible, en tout cas fermé pour lui. C’est à Marloüe que la commande d’un panneau décoratif pour l’Hôtel de ville de Paris venait le chercher. Si honorable qu’elle fût pour lui, elle lui avait causé plus d’appréhension que de plaisir, et il fallut les instances de deux de ses amis, Merson et Vayson, pour qu’il se décidât à l’accepter. 11 n’avait jamais exécuté un ouvrage d’aussi grandes dimensions, et ce n’est pas sans quelque inquiétude qu’il abordait celui-là, Désireux de s’en tirer de son mieux, il s’était préparé à sa tache par de nombreuses études. C’était comme un résumé de son taleqt qu’il voulait y mettre. La composition à laquelle il s’arrêta nous offre, en effet, groupés dans un harmonieux ensemble, quelques-uns des éléments pittoresques les plus expressifs qui figu¬ raient dans scs derniers tableaux, et l’exécution, à la fois précise et très délicate, a toute la largeur qu’imposaient les proportions de cette grande toile, qu’on dirait peinle d’entrain et du premier coup. Mais, pour obtenir cette aisance apparente, Charnay avait beaucoup peiné. Jamais satisfait, il ne pouvait se séparer de son œuvx^e. Dans son atelier encombré, il vivait au milieu des vieilles pierres, des mousses, des longs jets de clématites et des débris de plantes de toute sorte qu’il y avait amassés. 11 avait fallu, à plusieurs reprises, lui rappeler que les délais .fixés étaient depuis longtemps dépassés. Acculé au terme fixé par lui-même, ce n’est qu’avec des scrupules inouïs qu’il livrait enfin le bel ouvrage qu’on peut admirer sur le palier du grand escalier de l’Hôtel de ville. Malheureusement sa santé et sa vue s’étaient graduellement alté¬ rées, et il payait maintenant les imprudences de ses longues stations d’étude au brouillard et à l’humidité, parmi toutes ces moiteurs de l’automne, à la fois si captivantes et si dangereuses pour le peintre. Il n’aimait plus à sortir de chez lui, et il ne voulait plus exposer. Rêvant toujours de perfections irréalisables, il se déshabituait peu à peu de la production. Que de fois je l’ai gourmandé à ce propos! Que de fois je lui souhaitais, comme la chose la plus désirable pour lui, la pauvreté qui l’aurait obligé au travail! Hélas! il n’avait pas de besoins, et son aisance lui était plus que suffisante. Avec son jardin et ses fleurs, Charnay a la passion de sa chère forêt; il la connaît jusque dans ses retraites les plus reculées, et il ne se lasse pas d’y découvrir des beautés nouvelles. Mais malheur