Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/57

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52 GAZETTE DES BEAUX-ARTS du printemps, cette douce incantation des bois que les poètes célé¬ braient depuis si longtemps, que les petites filles chantaient dans leurs rondes, voici qu’un peintre les dit à son tour. 11 y a quelque plaisir pour nous à penser que c'est la figure de la France qui, la première,inspira à un artiste le désir d’en reproduire les traits. Cette vieille terre a toujours été aimée. Le livre nous en montre quelques beaux aspects. Voici la Seine à Paris, avec la Sainte-Chapelle et le Louvre; voici la forêt de Vincennes dominée par de hautes tours, le fabuleux château de Mehun-sur-Yèvre, le Mont Saint-Michel. Des jeunes femmes cueillent des fleurs dans les prés, et la « reine de mai », couronnée de feuillage, passe sur son cheval à la lisière de la forêt. On imagine l’étonnement du duc de Berry quand il vit ces merveilles. Il dut penser que son peintre avait reçu ce don de quelque fée des bois. Mais il n’y avait pas là d'autre magic que l'amour. Voilà ce qui se faisait à Paris, de 1390 environ à 1416 \ On eût vainement cherché quelque chose de pareil dans le reste de l'Eu¬ rope. Ni Gentile da Fabriano, ni Pisanello, si étroitement apparentés à nos maîtres, n’avaient fait encore leurs chefs-d'œuvre. Les van Eyck se formaient, et se formaient chez nous, sans aucun doute. Si on isole les van Eyck, si on les enferme dans les Flandres, ce sont des prodiges, des monstres. Mais si on admet qu’ils ont été à l’école des miniaturistes parisiens, malgré tout leur génie ils s’expliquent. D’ailleurs, est-ce là seulement une hypothèse, et n’est-ce pas déjà presque une certitude? M. le comte Durrieu n’a-t-il pas démontré que l’atelier des van Eyck avait continué un manuscrit commencé par l’atelier du duc de Berry ? On croit généralement qu’au commencement du xvc siècle, il n’y a pas, en France, d’autres miniaturistes de talent que ceux qu’emploie le duc de Berry. C’est là une erreur. J’en puis citer au moins deux qui valent ses meilleurs peintres. L’un a enluminé un livre d’Heures que je tiens pour un des chefs-d’œuvre de notre vieil art français2. Ce livre incomparable mériterait une longue étude. L’artiste qui l’a peint est peut-être la plus forte imagination qu’ait produite ce temps. Comme les autres paraissent timides à côté de ce poète ! Le calendrier déjà surprend. Tout y est en mou- 1. Date de la mort du duc de Berry. 2. Catalogue,n° 89 (latin 9471). J’ai eu le plaisir de retrouver plusieurs livres enluminés par le même maître. Ce sont : B. N., latin 13262, français 22531 ; Arsenal, n° 647. Mais aucun de ces livres n’approche du grand livre d’Heures dont nous parlons.