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LA MINIATURE A L’EXPOSITION DES PRIMITIFS 53 vcment. Les signes du Zodiaque volent dans un grand ciel bleu, où flottent de petits nuages d’or, et versent une pluie de rayons sur le paysan qui coupe ses foins ou moissonne ses blés. Mais quel¬ ques-unes des grandes miniatures à pleine page comptent parmi les choses les plus pathétiques qui aient jamais été faites. Ici la Vierge veut se jeter sur le cadavre de son Fils. Saint Jean la retient et tournc ses yeux pleins de reproches vers Dieu,dont la face apparaît, cependant que d’innombrables anges passent dans le ciel en faisant des gestes de désolation. Ailleurs, c’est la mort du chrétien. Le cadavre nu et livide est couché sur la terre, et il attend le juge¬ ment de Dieu, qui montre sa tête redoutable. Il n’est plus temps maintenant de prier; cependant l’homme espère encore, et une supplication écrite sur une banderole s’envole vers le ciel. — On s’étonne qu’un tel maître n’ait pas depuis longtemps une place d’honneur dans l’histoire de l’art. Le second artiste est aussi élégiaque que le premier est tragique. Chez lui, rien que de traditionnel. Son imagination n’est pas assez puissante pour se jouer librement au-dessus des lois. Il respecte tout ce qui est consacré. Sa Vierge ressemble à toutes les Vierges, mais il verse sur elle toute la suavité qu’il avait dans le cœur. Je ne connais de lui jusqu’à présent qu’un petit livre d’IIeures conservé a la Bibliothèque Mazarine1. Deux ou trois de ces minus¬ cules miniatures ne craignent aucune comparaison. Celle qui re¬ présente la jeune Vierge tissant le voile du Temple dans sa cellule, où descend un ange, fait pressentir Fra Angelico et d’avance l’égale2. Quand on connaît ces maîtres, on s’explique que Fouquet ait pu devenir si vite le grand peintre qu’il a été. Là non plus il n’y a pas de saut brusque. Fouquet est l’héritier direct des miniaturistes du commencement du xvc siècle. Tout était prêt quand il parut. L’un avait retrouvé le pathétique, l’autre la tendresse, et l’autre la nature. IV La mort du duc de Berry (1416) marque la fin d’une grande époque. Paris va bientôt devenir une ville anglaise. Le roi de France et la cour s’en éloigneront pour de longues années. L’art lui-même 1. Mazarine, n° 491, premières années du xvc siècle, 2. F0 234 v°. La Vierge du f° Ml n’est pas moins charmante.