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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/59

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u GAZETTE DES BEAUX-ARTS émigrera à leur suite, et bientôt c’est la Touraine qui sera notre Toscane. Pourtant, il faut se garder d’exagérer cette décadence de l’art parisien. Sous la domination anglaise, il y eut encore d’in¬ fatigables miniaturistes dans les ateliers de la porte Saint-Üenis. Un des manuscrits les plus extraordinaires qui aient jamais été peints a été justement commencé à cette époque pour un de nos vainqueurs. Le Bréviaire du duc de Bedford1 est un de ces livres qui accablent. Personne sans doute n’a jamais eu le courage de tourner les feuillets jusqu’au bout et de regarder, les uns après les autres, les 4 500 petits tableaux qui en décorent les marges. Cela donne une sorte de vertige, comme les milliers de petites figurines mutilées qui ornent le grand portail occidental de la cathédrale de Rouen. Il*y avait donc encore des artistes à Paris; mais des artistes, avouons-le, qui ne valaient pas les anciens. Les petites miniatures sont monotones et ont peu de caractère. Les grandes, qui semblent d’un artiste formé à l’école des frères de Limbourg, sont souvent admi¬ rables de richesse, mais manquent de je ne sais quelle flamme. 11 y a d’autres livres du même maître, la traduction de la Bible de Raoul de Presle2 par exemple, qui ont le même fini, mais qui, pourtant, laissent aussi rcgreLter le passé. L’école de Paris ne meurt donc pas au xv° siècle, comme en témoigne plus d’un beau manuscrit3, mais les grandes œuvres se feront ailleurs. Désormais, ce n’est plus Paris, c’est Tours qui attire et retient les artistes. Nous sommes là au cœur de la France. L’air est peut- être moins subtil, mais le terroir est bon. L’art de la Touraine nous apparaît avec un caractère unique de bonhomie et de douceur. Cette France du xvc siècle, que l’histoire nous montre si sombre, si tragique, elle est, dans ce petit coin, au témoignage de Fouquet, inofl’ensive, heureuse, éclairée d'un beau soleil printanier. Avec Fouquet, nous rencontrons' pour la première fois un artiste qui, pour nous, est une personne. Nous avons jusqu’à son portrait : figure rustique avec les yeux sérieux et un peu tristes du contem¬ plateur. Il naissait vers 1415, au moment où Pol de Limbourg, et ses frères travaillaient aux Grandes Heures de Chantilly. Où s’est-il formé? Nous l’ignorons. Plus d’un indice pourrait faire croire qu’il a appris son métier à Paris, dans les ateliers où se transmettait la ( 1. Catalogue, n° 106, latin 17294. 2. Catalogue, n° 133, français 20063; le premier volume seulement. 3. Par exemple le n° 146 du catalogue (franc. 9186).