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58 GAZETTE DES BEAUX-ARTS qu’il porte en lui-même. C’est déjà une'sorte de platonicien. Il ne sut pas, comme Fouquet, résister aux séductions de l’Italie devenue, elle aussi, platonicienne. Italien, il l’est par l’amour de la beauté, qui le préoccupe beaucoup plus que la recherche du caractère; italien, il l’est encore par l’amour de cette « divine symétrie » que nos vieux maîtres ne connaissaient pas, et qui apparut aux grands Ita¬ liens comme un des attributs de Dieu. Dans cet art si chaste des bords de la Loire, l’Italie insinua je ne sais quelle volupté. Il n’y a pas jusqu’aux paysages, où les verts se muent insensiblement en bleus, qui ne caressent doucement le regard. Tel qu’il est, Bour- dichon a un charme auquel on ne résiste guère, et l’on comprend qu’Annc de Bretagne l’ait choisi pour enluminer ses merveil¬ leuses Heures, le plus beau livre, sans conteste, de l’Exposition1. Après avoir donné cette suprême fleur, le vieil art du minia¬ turiste n’avait plus qu’à mourir. Sans doule, on peint encore des missels jusqu’à la fin du xvie siècle " et même au delà, mais les rois eux-mêmes ne purent ressusciter un art qui n’avait plus de fidèles. Les livres imprimés, ornés de gravures sur bois, tuèrent le manuscrit enluminé. Quel respect d’ailleurs nos imprimeurs mon¬ trent pour ce qu’ils tuent ! Ils imitent tout des manuscrits : les lleu- rettes des marges, les lettres majuscules, le style même des dessins. Ils semblent avoir honte de ces pages où il n’y a que du noir et du blanc. Aussi faisaient-ils peindre certains exemplaires de luxe. Vérard faisait mieux encore : il réservait en tête du livre de grandes pages blanches, où un artiste peignait do vraies miniatures3 : naïf hommage que ce jeune monde rend au passé. Il serait intéressant, si nous en avions le loisir, d’étudier les écoles de miniature qu’on discerne au xve siècle, à côté de l’école de Tours. Il en est deux surtout qui attirent l’attention : celle de Paris et celle de Rouen. L’école de Paris a ses origines dans l’atelier qui enlumina le Bréviaire du duc de Bedford: mais elle ne tarde pas à subir l’influence de Fouquet, si bien qu’il n’est pas toujours facile de distinguer les manuscrits parisiens des manuscrits tourangeaux. Quant à l’école de Rouen, elle eut, au xve siècle, deux époques. Dans la première, elle peint des pages qui sont d’assez jolis bouquets de couleurs vives. Mais elle n’a aucun sentiment de l’air et de l’espace. t. Catalogue, n° d78 (latin 9474). 2. Voir la vitrine XXIV. 3. Voir les exemples réunis dans la vitrine XXV.