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Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 31 - 1904.djvu/72

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L’EXPOSITION DES PRIMITIFS FRANÇAIS 67 religieuse, pour l'exportation. Les contrats et les actes mis au jour par l'infatigable curiosité de M. l'abbé Requin nous font, à ce sujet, d'étranges révélations. Au milieu du xvc siècle, on trouve cent pein¬ tres environ établis à Avignon, tous fort achalandés. Pour une cin¬ quantaine, les titres nous donnent leurs lieux de naissance. Combien d’Avignon? Six seulement. Les régions voisines, l’Italie même n'en comptent pas beaucoup plus. Tout le reste vient du Nord, Bresse, Lyonnais, Bourgogne, Franche-Comté, Champagne, Orléanais, Ile- de-France, Bretagne, Alsace, Allemagne, Pays-Bas (Tournai, Ypres, Utrecht, etc.). Comment s’étonner que les produits de ces artistes internationaux aient pu dérouter si longtemps les amateurs par les complexités et les ambiguïtés de leur technique, et qu’on ait pu, à tort et à travers, les classer sous les rubriques d’Italie ou de Flandre? L'action de ce milieu bizarre s’exerçait d'une façon si variable, sui¬ vant l’autorité des maîtres et le tempérament des élèves, que les septentrionaux y prenaient parfois un caractère plus méridional que les indigènes eux-mêmes, et vice versa. Les deux seuls peintres jus¬ qu'à présent baptisés d'après des titres authentiques, Enguerrand Charonton, l'auteur de la Vierge triomphante de Villeneuve (1453), et Nicolas Froment, celui du Buisson ardent d’Aix-en-Provence (1473), en sont de bien curieux exemples. Charonton est de Laon, et les figurines de ses adorants sont d'une pureté si toscane qu'on pourrait en attribuer quelques-unes à Benozzo Gozzoli, sinon à Fra Angelico. Froment, en revanche, né à Uzès, a si bien profité des enseigne¬ ments flamands,*qu'il en conserva, toute sa vie, les habitudes et la marque; l’on a pu, sans invraisemblance, exposer longtemps aux Uffizi l’un de ses premiers tableaux sans-doute, le triptyque de la Résurrection de Lazare, dans la salle germanique. Il convient, d’ail¬ leurs, d'ajouter que, pour donner parfois à ses figures âpres et gri¬ maçantes, des aspects si rébarbatifs et des tournures si grotesques, Froment n'avait pas eu absolument besoin de conseils flamands. Les Italiens du xive siècle, dans la chapelle de Villeneuve, et sans doute ailleurs, avaient déjà eu quelques accès de ce réalisme agressif1. On y peut voir, dans les Miracles du Christ, les prototypes de ces bonshommes émaciés qu'on retrouvera aux Uffizi, de même qu’on y constate déjà, dans le Supplice de saint Jean, l'heureuse substitution du milieu réel, un jardin ensoleillé d'oliviers et d’orangers ver¬ 1. Eugène Müntz, Fresques inédites dît xive siècle à la Chartreuse de Villeneuve (Gard) (dans la Gazette archéologique, -1888, planches a et 36).