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70 GAZETTE DES BEAUX-ARTS lion sentimentale, par un peintre savant et fort, dans la pleine matu¬ rité d’un art accompli. Pour la majestueuse franchise, on ne lui saurait comparer que les. plus belles sculptures de Bourgogne ou celles de son compatriote, Le Moituricr, à Saint-Pierre d’Avignon. Nulle montre de virtuosité chez un homme qui possède pourtant si bien son métier. Quelle est la plus noble, la plus émouvante de ces trois ligures groupées, en un rythme de lignes et de masses admirable, autour du cadavre gisant sur les genoux maternels? Ce ne sont pourtant que des types réels, actuels, du pays, mais si profondément agrandis et idéalisés par leur douleur! Douleur con¬ centrée, d'ailleurs, calme et muette, et d’autant plus poignante. Pas un sanglot, pas un geste. Quelle dignité de résignation soumise et pieuse sur le blanc visage de la mère, qui joint les mains en fer¬ mant les yeux; quelle énergie de foi simple et virile sur celui du saint Jean ! La Madeleine, seule, penchée sur le corps du bien-aimé, tenant son vase à parfums, essuie, en silence, une larme furtive d'un pan de son manteau. Pas plus de recherche dans les détails de l’exécution. C'est d'une maîtrise supérieure, la maîtrise mâle et sûre des grands maîtres. Qn'on se rappelle des scènes semblables chez les plus illustres con¬ temporains, van der Weyden, Mantegna, Botticclli, les gesticula¬ tions violentes de leurs acteurs, leur solennité plastique ou leurs explosions de désespoir; peut-être trouvera-t-on que, chez le peintre français, l’émotion, pour se manifester avec moins d’éclat, n'en est que plus forte et plus chrétienne. Pour ceux qui, d'ailleurs, seraient indifférents à cette beauté rare du sentiment et de la composition, et qui, dans un tableau, n’estiment que la qualité pittoresque, l’artiste a pris soin d’agenouiller, aux pieds du Christ, un donateur, si fièrement brossé, qu'il suffira, sans doute, à les satisfaire. Où trouyer, même dans van der Goes et Ghirlaridajo, un être vivant mieux défini, mieux peint, que ce vieux prêtre au visage couperosé, hàlé par les soleils et’les vents implacables du’Cômtat, assez borné d’esprit, c'est possible, mais si convaincu, si fervent, dans la blan¬ cheur grave de son large surplis qui exalte les rougeurs noires de ses chairs ridées et brûlées? Il ne faudrait qu’un tel morceau au¬ jourd’hui pour faire la réputation d’un peintre. Celle de l’auteur de la Pie là fut grande, sans doute, de son temps, à Avignon. Par malheur, nous ignorons son nom. Les re¬ cherches de l’abbé Requin nous ont bien appris qu’il y avait alors, autour de Charonton et de Froment,'quelques autres artistes en