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86 GAZETTE DES BEAUX-ARTS futaie verte; ses clochetons indéterminés semblent des feuillures; d’épais nuages violets, verts, bleus, striés de pourpre et de sang, roulent sur une eau calme rellétant complètement le palais et le ciel, en une paix et une solitude de béguinage *. Puis le voici, comme tout tissé de brume violette, avec un immense recul de la forêt des tours d'usines, et c'est ici comme un palais de Thulé, comme un temple du silence, comme une évocation mystique, que découpe, grâce à la magic de l’heure, dans la ville sonore et brutale, l'art exact de Claude Monet. Des eaux qui roulent lourdes au pied de Westminster évoquent cette figuration de l’eau par les légendes du Nord, des Nixes au manteau vert, dont les mains jouent d’une harpe d’argent, et ces eaux de Monet ont ce manteau d'émeraude s'apaisant en floches d’argent animées de reflets de prisme. A l'un de ces Soleils couchants, l’astre demeurera visible disque lourd d’où filtrent les plus fines variations de couleur; ailleurs2 il s’est épandu soufré,gomorrhéen, en des nuées violettes, purpurines, orangées, et ses reflets clapotent en une eau lourde, rose, bleue, verte, avec des micas roses sans cesse ensanglantés d'un point rouge. Une trouée du soleil dans le brouillard3 allume un floconnement d’air et d'eau, fondus, virant dans un rythme unique, où l’astre fuse, allumant à chaque surface, à chaque miroitement de ces limbes lumineux, comme une infinité de lampes toutes variées et tamisées par des enveloppes légères et nuancées infiniment. Le pont de Waterloo, sous des ciels d’humeur diverse, charrie un flot de voitures; un ruissellement de féerie se précipite sous l’ombre violette des arches, et des touches de soleil allument aux vitrages d’une tour usinière, un phare dans les fumées légères. Cette foule, ces eaux, ce fond de maisons et de tuyaux d’usines sont sans cesse variés. Ici, l’eau s'alanguit, là elle se précipite, comme truellée; là elle est huileuse et douce, caressante avec de petits panaches frisant au bout des vaguettes; elle apparaît comme déchirée par un râteau puissant qui en fait éclater des pierreries, ou dans le rabattement de la lumière sur le fleuve, par le mur ouateux et diapré du brouillard, ses flots vont lentement, en cor¬ tège, en crêtes lentes semées de bouquets. A un Temps gris*, une fumée violette arrive d’un invisible bateau 1. I\T° 33 du catalogue. 2. N° 25 du catalogue. 3. N° 35 du catalogue. 4. N° 16 du catalogue.