Page:Gazette des Beaux-Arts, vol 32 - 1904.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rouille des âges ou à la main des hommes, il voyait ceci pourtant : les marbres et les bronzes des statues, l’or et l’argent des monnaies de Rome et d’Athènes, lui étaient, encore après les siècles, un plaisir à voir et à toucher ; et, au contraire, les noms de Protogène, d’Apelles et de Zeuxis n’étaient que de vains bruits qui frappaient ses oreilles.

Il avait raison. Parmi les joies de l’œil et de l’esprit des hommes, la peinture est une des plus promptes à vieillir et à mourir. Dans des heures de mélancolie, on voudrait inscrire au fronton des musées non pas la devise des « belles feuilles toujours vertes », mais celle qu’un misanthrope du moyen âge voulait imposer à la vie de tout homme : « Disco aemscere, disco mori, — j’apprends à vieillir, j’apprends à mourir. » Et, en effet, il est peu de chose au monde qui vieillisse aussi rapidement et aussi complètement que les tableaux. Ils vieillissent, si je puis dire, par l’âme autant que par la matière. Leur matière, autant que toute autre matière, est soumise aux lois de la physique et de la chimie, et de ce fait, après quelques mois ou au moins quelques années, il arrive toujours que leur aspect primitif s’est modifié plus ou moins complètement. Mais il n’est pas moins certain que les tableaux vieillissent moralement ; ils sont le témoignage de l’état d’âme d’un homme, et ils paraissent ou surannés ou toujours jeunes, suivant que cet état d’âme lui-même était plus ou moins voisin de l’éternelle vérité. Les diverses générations humaines ne peuvent se comprendre et s’aimer entre elles que par le moyen de symboles qui sont variables, mais représentent toujours des vérités permanentes et communes.

On ne trouvera pas singulier que ces réflexions m’aient été inspirées par une visite attentive et prolongée au musée du Luxembourg, et je demande par quel autre musée elles eussent pu être mieux inspirées ? Ce musée est justement le lieu ou l’on place les œuvres d’art pour leur donner le loisir de mûrir et de vieillir. C’est une sorte d’antichambre de la gloire, où les œuvres d’art attendent le double effet et de la faculté de vieillissement qui est en elles, et des changements du goût public pendant quelques générations humaines. C’est là justement que l’observateur peut voir l’action de l’âge sur des œuvres que le public avait d’abord follement vantées, sur d’autres qu’il avait violemment dénigrées, car le choix des œuvres d’art qui y sont admises n’est pas tout à fait libre : il subit nécessairement la poussée de l’opinion, de l’occasion, des relations, quelquefois peut-être des faveurs administratives. Je le dis sans esprit de critique envers per-