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Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/4

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Les âmes en peine


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Par cette grise matinée d’octobre armoricain, l’océan avait ce gémissement profond qui suit les violentes tempêtes et, sur la grève, les déferlements « étalaient » avec une langueur accablée.

Une grande affliction pesait sur le bourg. L’avant-veille, le syndic des Gens de mer, M. Béven, avait reçu l’avis officiel d’un terrible malheur. Le trois-mâts « Rosa-Mystica », monté par un équipage de Ploudaniou, s’était perdu devant l’île Molène. Aucun des hommes du bord n’avait pu se sauver. Les familles du village étant alliées par des cousinages à la mode de Bretagne, toutes les maisons se trouvaient en deuil. À l’annonce de ce désastre, les veuves avaient heurté les portes de leur front en criant : « Ma Doué ! ma Doué ! »

Onze forts jeunes hommes ouvraient maintenant leurs yeux agrandis aux horreurs des abîmes hantés par les crabes verdâtres et les poulpes visqueux.

Dans la vieille église enténébrée, le recteur de Ploudaniou célébrait l’office des morts en l’honneur des disparus de la « Rosa-Mystica ». Une fausse châsse était dressée dans le chœur et les hauts candélabres supportant des cartouches à têtes de mort la cantonnaient. La jaune lumière des cierges éclairait les veuves, les orphelins et les pères et mères des naufragés. Tous les visages avaient cette expression de douleur résignée des côtiers bretons dont la vie n’est qu’une succession de deuils, car les marins y périssent presque tous, au large, dans ces lieux imprécis et agités qui n’accordent pas même le repos aux trépassés.