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II

LE JUGEMENT DES FRÈRES BUANIC


Maître au cabotage et second capitaine à bord du trois-mâts charbonnier « Rosa-Mystica », Julien Buanic, jeune homme de vingt-cinq ans, avait une sveltesse et une distinction remarquées au milieu de cette population trapue et lourde. Son cou élancé portait une tête petite et douce aux cheveux en copeaux d’or. Sous leurs sourcils très remontés dans un front parfaitement lisse, ses yeux avaient l’innocence des myosotis.

Son frère Jean lui ressemblait comme une pièce sortie du même flan usé, mais ce marin, de physionomie plus inerte, devait avoir la mollesse des natures lymphatiques. Ces deux frères contrastaient avec les centaines de rudes pêcheurs sardiniers ou homardiers qui les entouraient. Ils appartenaient en effet à un autre sang : Job et Maharit Buanic, les sabotiers, s’en étaient venus des montagnes noires pour exercer leur métier parmi cette population maritime musculeuse, violente, tapageuse et rieuse. Pour la finesse native de Jean et Julien Buanic et leurs façons plus tendres, Nonna et Anne Lanvern, les filles les plus gracieuses de Ploudaniou, les avaient aimés. Comme les naufragés en pleurs, à l’évocation du malheur de la « Rosa-Mystica », n’expliquaient pas encore leur retour prodigieux, le sévère Gurval Lanvern leur ordonna de conter la perte de leur navire sans rien dissimuler des détails de ce désastre.

— Nous revenions de Cardiff trop chargés de charbon sur notre vieux trois-mâts qui faisait de l’eau. Vers le milieu de la nuit, comme la « Rosa-Mystica » commençait de rouler bord sur bord à la houle pointue, une des pompes s’engorgea. Seule, la seconde fonctionna. L’eau montait dans la cale. Le vent fraîchit. Une bonnette, un foc et un cacatois furent emportés successivement. Tout le gréement de ce vieux sabot n’est qu’une moisissure, nous confia le capitaine.