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faire une distinction entre les secours naturels que Dieu donne et les grâces surnaturelles. (Voyez la préface de dom Marand, 2e partie, chap. vii.)

Brucker soutient que saint Justin n’attribue pas seulement à Socrate et aux autres sages païens une lumière purement naturelle, mais une révélation semblable à celle qu’ont eue Abraham et les autres patriarches, et qu’il a cru que cette lumière, émanée du Verbe divin, suffisait pour leur salut, lorsqu’ils l’ont suivie. Quand cela serait vrai, il n’y aurait pas encore lieu de lui reprocher une erreur contre la foi. Saint Justin n’a jamais pensé que Socrate, en adorant les dieux d’Athènes, avait suivi la lumière du Verbe divin (Hist. crit. philosoph. tom. III, pag. 375). Il est exactement vrai que si les païens avaient correspondu aux grâces que Dieu leur a faites, ils seraient parvenus au salut, parce que Dieu leur en aurait accordé encore de plus abondantes, et ensuite le don de la foi.

D’autres lui ont attribué l’erreur des Millenaires : ils se trompent ; saint Justin, il est vrai, adopta la doctrine de Papias, mais il en parle comme d’une opinion que plusieurs Chrétiens pieux et d’une foi pure ne suivent point. Il n’y était donc pas attaché lui-même.

Un déiste a dit que saint Justin n’a pas admis la création, et qu’il a cru, comme Platon, l’éternité de la matière ; un autre a répété cette accusation ; tous deux copiaient Le Clerc et les sociniens : ainsi se forment les traditions calomnieuses parmi nos adversaires. Cependant saint Justin dit formellement (Cohort, ad. Gent., n° 22) : « Platon n’a pas appelé Dieu créateur, mais ouvrier des dieux : or, selon Platon lui-même, il y a beaucoup de différence entre l’un et l’autre. Le créateur n’ayant besoin de rien qui soit hors de lui, fait toutes choses par sa propre force et par son pouvoir, au lieu que l’ouvrier a besoin de matière pour construire son ouvrage (n° 23). Puisque Platon admet une matière incréée, égale et coéternelle à l’ouvrier, elle doit par sa propre force résister à la volonté de l’ouvrier. Car enfin celui qui n’a pas créé n’a aucun pouvoir sur ce qui est incréé ; il ne peut donc pas faire violence à la matière, puisqu’elle est exempte de toute nécessité extérieure. » Platon l’a senti lui-même, en ajoutant : « Nous sommes forcés de dire que rien ne peut faire violence à Dieu. » Saint Justin a donc très-bien compris que la notion d’être incréé ou éternel emporte la nécessité d’être et l’immutabilité ; et puisqu’il suppose que Dieu a disposé de la matière comme il lui a plu, il a jugé conséquemment que la matière n’est ni éternelle, ni incréée (n° 21) ; il fait sentir toute l’énergie du nom que Dieu s’est donné, en disant : Je suis celui qui est, ou l’être par excellence. Ainsi, lorsque dans sa première Apol. (n° 10) il dit que Dieu étant bon, a dès le commencement fait toutes cho-