pouvoir magique, mais si grand qu’il soit il ne trompera pas ceux qui ont du bon sens et qui prennent la raison pour guide. L’art a si bien parfois reproduit la nature qu’on a vu des pigeons voler vers d’autres pigeons dont une toile fidèle représentait l’image ; des chevaux hennir à l’aspect d’autres chevaux qui n’étaient qu’en peinture. On dit qu’une fille se passionna pour un portrait, qu’un jeune homme se prit aussi d’amour pour une statue de la ville de Cnide. L’art avait donc trompé l’œil des spectateurs. Jamais une personne de bon sens n’aurait eu commerce avec une statue ; jamais elle ne se serait ensevelie dans un tombeau avec un cadavre ; jamais elle n’aurait aimé un démon ou une pierre. Mais l’art vous trompe par d’autres prestiges, il vous porte non pas à aimer des images, des statues, mais à les adorer ; il en est des portraits comme des statues. Qu’on admire l’art qui les a produits, rien de mieux ; mais qu’il ne trompe pas l’homme au point de s’offrir comme la vérité. Un cheval s’est arrêté sans broncher, une colombe a suspendu son vol, elle est restée sans mouvement. La vache de Dédale, faite de bois, enflamme un taureau sauvage, et l’art qui avait trompé cet animal le jette après sur une femme pour en assouvir la passion. C’est à ces excès de fureur que le mauvais usage de l’art a porté des fous, des insensés. Ceux qui nourrissent des singes et qui les instruisent s’étonnent qu’on ne puisse les tromper avec des statues de terre ou de cire, revêtues d’ornements de jeunes filles. Vous avez donc moins d’esprit que les singes, vous qui vous laissez tromper par des figures de pierre, de bois, d’or et d’ivoire.
Les ouvriers qui fabriquent ces jouets si dangereux, je veux dire les sculpteurs, les statuaires, les peintres, les orfèvres, les poëtes, en produisent des quantités incroyables ; ils remplissent les champs de statues, les forêts de nymphes, Oréades, et Hamadriades, les fontaines et les fleuves de Naïades, la mer de Néréïdes. Les magiciens se vantent d’avoir les démons aux ordres de leur impiété, au point d’en faire des valets, et de savoir, par la vertu de certaines paroles, les contraindre à obéir. Les noces de vos divinités, leurs accouchements, leurs adul-