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VIE DE SAINT CYPRIEN.

quoique avec un goût peu délicat. Les représentations dramatiques avaient traversé les mers. La ville d’Annibal battait des mains aux chefs-d’œuvre de Térence, d’autant plus fière qu’elle applaudissait à une gloire nationale. La honte de l’esclavage disparaissait devant l’auréole littéraire. Les philosophes avaient dans cette cité des écoles nombreuses où ils se disputaient bassement les élèves. Des rhéteurs fameux, des sophistes habiles à manier la parole, attiraient le peuple sur les places publiques. L’ingénieux Apulée payait en éloges les éloges qu’il recevait de cette ville studieuse, surnommée, au second siècle, la muse d’Afrique.

Cette civilisation, brillante à sa surface, cachait une grande corruption, qu’accrurent encore les voluptés de Rome, une fois que celles-ci eurent pénétré, parmi les loisirs de la paix et sous un ciel brûlant, dans des imaginations plus brûlantes encore. À côté d’elle grandissait le Christianisme, qui avait jeté de profondes racines sur ce littoral. Là les conciles provinciaux étaient aussi nombreux, qu’ailleurs les conciles œcuméniques. De toutes parts s’élevaient des églises que gouvernaient deux cents évêques. Tertullien et Minucius Félix avaient paru ; Arnobe et Lactance florissaient déjà ; Augustin allait briller. Là, autant et peut-être plus qu’ailleurs, le sang des martyrs fut une semence de Chrétiens. Le second siècle s’achève à peine, que l’apologiste de la foi nouvelle peut déjà invoquer les intérêts politiques pour arrêter le bras qui frappait ses frères, en déclarant à la Rome impériale qui se baignait dans le sang, qu’anéantir les Chrétiens, ce serait décimer Carthage. Disons-le cependant ; parmi ceux que l’Évangile avait conquis à ses dogmes et à sa morale, se perpétuaient encore des coutumes grossières ; les festins dégénéraient souvent en dissolutions, jusque sur le tombeau des martyrs ; une férocité toujours prête à s’échapper, un penchant naturel à la rébellion, quelque chose d’impatient et de mobile ; une secrète affection pour les dogmes obscurs des Gnostiques et des Manichéens, suscitaient