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VIE DE SAINT CYPRIEN.

comme un champ de mort. Partout l’épouvante, partout la fuite pour échapper au fléau. On abandonne impitoyablement ses proches ; on jette les mourants hors de la maison, comme si avec les mourants on avait pu chasser en même temps la mort. Des milliers de cadavres errent tristement dans les rues, sollicitant la pitié et le secours du passant par l’aspect de la destinée qui l’attend lui-même, dans quelques heures, mais rien pour la miséricorde ! pas un cœur qui tremble à l’aspect de son propre péril ! pas un cœur qui accorde à ses frères l’assistance qu’il aurait souhaitée pour lui-même dans une pareille conjoncture. Ce n’est pas assez de déserter la couche du moribond ; une bande d’hommes cupides se jette sur la succession de ceux qui ne sont plus. On pille, on est pillé ! plus de crainte, plus d’hésitation dans le brigandage ! partout on lève le masque. À voir la rapacité de chacun, on dirait que la spoliation est chose licite ; que le déprédateur accomplit un devoir indispensable, et que s’abstenir du bien d’autrui, c’est perdre le sien. À côté de ces magistrats, persécuteurs pendant la paix, lâches et tremblants en face du péril, que fait Cyprien ? Il rassemble dans l’enceinte commune la tribu fidèle ; il lui rappelle les devoirs et les avantages de la miséricorde ; il lui explique combien cette vertu est puissante auprès de Dieu pour mériter ses suffrages ; il lui apprend que ses proches, ce n’étaient pas seulement les serviteurs de la foi, mais les païens et les oppresseurs qui accablent le nom chrétien de maux ; qu’enfin, pour être dignes du père que nous adorons, nous devons prouver que sa bonté est héréditaire et revit parmi ses enfants.

Pourquoi les accents, partie de la tribune sacrée, dit ici le diacre Ponce, ne purent-ils arriver jusqu’à l’oreille des infidèles ? les touchantes paroles de l’homme de Dieu n’auraient pas manqué de changer leurs cœurs. Elles produisirent sur les Chrétiens une impression profonde. On se partagea les rôles, de la charité, selon les rangs et les moyens. Les riches donnèrent de