Page:Gentil, La chute de l’empire de Rabah, Hachette, 1902.djvu/198

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ture. C’est très mal ; Dieu défend ce que tu as fait là.

— Que veux-tu ? me dit-il, c’était un esclave dont j’avais fait un grand seigneur. Je l’ai puni pour servir d’exemple aux autres… »

Emu de pitié, j’obtins de Gaourang qu’on lui enlèverait ses fers, ainsi qu’au Tchiroma.

Il tint sa promesse, croyant me faire une concession bien grande. Certainement, si j’avais essayé de lui démontrer l’atrocité de sa conduite, il ne m’aurait pas compris.

Je n’insistai pas davantage et lui demandai de me fournir des porteurs et des chevaux. Il me promit tout sans retard. Dès le lendemain, je reçus pour ma part un beau cheval noir qu’il avait lui-même monté. Les autres officiers et les Européens furent ensuite pourvus ; mais en général, à part quelques exceptions, ces montures ne valaient pas grand’chose. C’était cependant mieux que rien, et il ne fallait pas se montrer trop exigeant, car le pauvre Gaourang n’avait plus une cavalerie bien belle. La plupart de ses chevaux étaient fourbus et à bout de forces.

Les porteurs vinrent après. Gaourang n’avait pas eu beaucoup de peine à se les procurer. C’étaient tout simplement des esclaves qu’il avait razziés chez les Saras. Encore enchaînés ou réunis par couples à des fourches de bois, ces malheureux présentaient un spectacle lamentable. Je n’oublierai jamais l’impression de profonde pitié qui nous saisit tous à la vue de ce troupeau humain, que quelques soldats poussaient devant eux à coups de fouet. Comme il n’y avait pas assez d’hommes, des femmes s’y trouvaient en grand nombre. Nues, sans un lambeau d’étoffe pour les couvrir, hâves, exténuées de fatigue, quelques-unes portaient de petits enfants qui essayaient de trouver un peu de lait aux seins taris de leurs mères…

Quel spectacle navrant !… Quelque endurcis que nous pussions être, les larmes nous venaient aux yeux. Et ce qu’il y avait de pire encore, c’est que tout ce monde mourait de faim. Il ne faut pas croire qu’on s’était occupé de leur nourriture. Mangeait qui pouvait, comme et quand il pouvait… C’était simple et horrible…