Page:Gentil, La chute de l’empire de Rabah, Hachette, 1902.djvu/232

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Assis sous ce même arbre, nous causions des divers incidents du combat, quand deux tirailleurs, s’avançant vers moi, me dirent : « Rabah est mort».

Depuis tant d’années, on m’annonçait cette mort toujours démentie, que je crus à un faux bruit, et haussant les épaules, je leur répondis : « Eh bien ! s’il est mort, apportez-le moi ».

Les deux tirailleurs s’en vont et dix minutes après reviennent avec une tête fraîchement coupée. « Voilà Rabah. »

De suite j’appelle Samba Sall qui a vu de près le conquérant soudanais, puisqu’il a été son prisonnier après Togbao… Je l’interroge… « Oui, me répondit-il, c’est la tête de Rabah. »

D’autres personnes arrivent ensuite, qui toutes me confirment l’exactitude du fait. Un des petits esclaves de Rabah, qui est couché, percé d’une balle dans le flanc, reconnaît aussi la tête de son maître.

Le tirailleur, qui a apporté ce sanglant trophée, appartient à la mission Afrique centrale. Ancien soldat de Rabah, il a déserté depuis quelque temps et a été engagé par le capitaine Joalland.. Il me raconte que se lançant à la poursuite des fuyards, il avait aperçu un homme paraissant blessé qui cherchait à se dissimuler derrière des buissons. De peur qu’il ne s’échappât, il lui tira un coup de fusil qui l’atteignit en pleine tête.

Il s’approcha alors de sa victime dans laquelle il reconnut Rabah.

J’avoue que mon premier mouvement fut de la pitié. Cet homme, dont la tête sanglante gisait à mes pieds, fut un brave, et la façon dont il s’était défendu aurait dû lui valoir au moins d’avoir la vie sauve… Certainement, s’il était tombé vivant entre mes mains, je l’aurais épargné. Mais la destinée ne l’a pas voulu ainsi. La justice immanente était intervenue, lui faisant à son tour payer ses crimes et le sang des innocentes victimes, qu’il avait immolées depuis tant d’années. Et je songe aussitôt à la fin tragique de ce chef si longtemps victorieux, qui commandait à des milliers d’hommes, qui remplissait toute l’Afrique Centrale du bruit de ses conquêtes et de ses cruautés