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Page:George Eliot Adam Bede Tome 1 1861.djvu/303

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adam bede.

chose à l’autre bout de la cuisine. Peut-être est-ce parce qu’elle était déjà tremblante et énervée, que cette apparition produisit un tel effet sur elle ; peut-être aussi que le bris des cruches, comme d’autres crimes, a une influence contagieuse ; quoi qu’il en fût, elle tressaillit d’effroi comme si elle eût vu un fantôme, et la précieuse cruche brune et blanche, en tombant sur le sol, se sépara pour toujours de son bec et de son anse.

« A-t-on jamais vu ça ? dit-elle en abaissant subitement le diapason de sa voix, après avoir jeté des regards effarés autour de la chambre. Les cruches sont ensorcelées, je crois. Ce sont ces détestables anses polies ; elles vous glissent des mains comme des limaces.

— Bien, tu as laissé ton fouet te frapper le visage, dit son mari, qui pour lors joignait son rire à celui des enfants.

— C’est très-beau de se moquer, reprit madame Poyser ; mais il y a des moments où il semble que la poterie est vivante et vous échappe des doigts comme un oiseau. C’est comme le verre qui se brise quelquefois sans qu’on le touche. Ce qui doit se casser se cassera, car je n’ai jamais laissé tomber quelque chose faute de le bien tenir, autrement je n’aurais pas conservé jusqu’à présent cette poterie, que j’ai achetée lors de mon mariage. Et vous, Hetty, êtes-vous folle ? Quelle idée avez-vous de descendre ainsi faite, qu’on pourrait croire qu’il y a un revenant dans la maison ? »

Un nouvel éclat de rire, à ces mots de madame Poyser, eut pour cause bien moins sa croyance soudaine à la fatalité pour les cruches cassées que le costume d’Hetty, qui avait effrayé sa tante. La petite coquette avait trouvé une robe noire et l’avait serrée avec des épingles contre son cou pour être comme Dinah, avait aplati ses cheveux autant que possible et attaché dessus un des bonnets filochés de