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Page:George Eliot Adam Bede Tome 2 1861.djvu/61

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adam bede.

regarderait-il ? Elle pensait qu’elle pleurerait s’il ne lui donnait aucun signe d’affection. Maintenant il était là, il avait pris sa main, oui, il la pressait. Hetty devint pâle en levant les yeux sur lui un instant et rencontrant son regard, avant que la danse ne l’entraînât plus loin. Ce pâle regard tomba sur Arthur comme le commencement d’un pesant chagrin qui s’attachait à lui, quoiqu’il dût danser, sourire et plaisanter. Elle le regarderait sans doute ainsi quand il lui dirait ce qu’il devait lui dire, et il ne pourrait le supporter, il s’abandonnerait de nouveau à sa folle sottise. L’air d’Hetty n’avait pas réellement autant de signification qu’il le croyait ; c’était seulement le signe de la lutte établie entre le désir qu’elle avait qu’il fît attention à elle et la crainte où elle était de laisser voir ce désir à d’autres. Mais la figure d’Hetty avait une expression qui disait plus qu’elle ne sentait ; de même qu’un langage national peut être empreint d’une poésie que ne sentent nullement les lèvres qui en font usage. Ce regard d’Hetty oppressait Arthur d’une crainte qui, cependant, était mêlée d’un charme dangereux qu’il ne s’avouait pas : c’est qu’elle l’aimait trop sincèrement. Il avait devant lui une tâche difficile, car il sentait dans ce moment qu’il donnerait volontiers trois années de sa jeunesse pour le bonheur de pouvoir s’abandonner sans remords à sa passion pour cette jeune fille.

Telles étaient les pensées peu convenables de son esprit, tandis qu’il reconduisait madame Poyser, abîmée de fatigue et secrètement décidée à ce que ni juge ni jury ne pourraient la forcer à une autre danse. Il la mena se reposer tranquillement dans la salle à manger, où un souper était servi, afin que chacun des invités pût y venir prendre ce qui lui plaisait.

« J’ai recommandé à Hetty de se rappeler qu’elle devait danser avec vous, monsieur, dit la bonne et innocente femme ; elle est si légère, qu’elle pourrait très-bien aller