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CIVILISATION

idées, renouveler le thème de mes réflexions. C’était toujours avec un soupir de soulagement que je m’éloignais de la ville des tentes. Je contemplais, de loin, cette sinistre agglomération qui ne manquait point d’analogie avec une fête foraine ; je cherchais, parmi la blancheur des toiles et les croix écarlates, la pointe des marabouts, je regardais aussi le cimetière où des centaines et des centaines de corps étaient enfouis et, supputant la somme de tristesses, de désespoirs ou de colères accumulée sur ce point de la terre, je pensais à ces gens qui, dans l’intérieur du pays, peuplent les cafés-concerts, les salons, les cinémas, les lupanars, jouissent effrontément d’eux-mêmes, du monde et du temps, et, à l’abri de ce tremblant rempart de sacrifices, se refusent à communier dans la détresse universelle. Je pensais à ces gens avec encore plus de honte que de ressentiment.

Les courses au dehors me rafraîchissaient le cœur, je trouvais quelque réconfort dans le spectacle d’hommes sains ménagés par la bataille.

Quelquefois j’allais jusque dans le secteur anglais. L’artillerie à longue portée s’y prodiguait. Les pièces étaient servies par des soldats en manches de chemise, en pantalons longs, souillés d’huile et de