Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/186

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Je vois un phénomène de chez vous, et un joli phénomène : un françois de trois siècles. Il a la chevalerie de l’un, la grâce de l’autre et la gaîté de celui-ci. François I, le grand Condé, et le maréchal de Saxe auroient voulu avoir un fils comme lui. Il est étourdi comme un hanneton au milieu des canonnades les plus vives et les plus fréquentes, bruyant, chanteur impitoyable, me glapissant les plus beaux airs d’opéra, fertile en citations les plus folles au milieu des coups de fusil, et jugeant néanmoins de tout à merveille. La guerre ne l’enivre pas, mais il y est ardent d’une jolie ardeur, comme on l’est à la fin d’un souper. Ce n’est que lorsqu’il porte un ordre, et donne son petit conseil, ou prend quelque chose sur lui, qu’il met de l’eau dans son vin. Il s’est distingué aux victoires navales que Nassau a remportées sur le capitan-pacha : je l’ai vu à toutes les sorties des janissaires et aux escarmouches journalières avec les Spahis ; il a déjà été blessé deux fois. Toujours françois dans l’ame, il est russe pour la subordination et pour le bon maintien. Aimable, aimé de tout le monde, ce qui s’appelle un joli françois, un joli garçon, un brave garçon, un seigneur de bon goût de la cour de France : voilà ce que c’est que Roger de Damas.