Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PORTRAIT DE M. DE S.


IL y a seize ou dix sept ans qu’il parut sur l’horizon de Paris un phénomène qui n’avoit rien d’effrayant. Ce n’est point une aurore boréale, puisqu’il éclaire tous les jours également ; ce n’est point une planète, puisqu’il ne tourne autour de personne ; ce n’est point un astre, puisque, heureusement pour les autres pays de l’Europe, il n’est pas fixé dans le sien. Ce phénomène parle, mais pas assez ; pense, mais beaucoup trop ; marche, mais pour aller s’asseoir de travers sur une chaise ; il y entortille ses jambes, les décroise pour faire à quelqu’un qui est dans la chambre depuis une heure, une petite révérence de la tête ; la porte sur l’épaule gauche, pour sourire à une aventure bien triste qu’on lui raconte, se met à écouler ce qu’un autre ne dit point, et n’entend pas ce qu’un troisième lui dit : il a assez l’air d’un sylphe, car il est presque transparent. C’est une Salamandre quand il écrit, car alors il vit dans le feu : il a très-peu de chose de l’humanité, dans le sens ordinaire de