Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/346

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d’être bons chrétiens. — Ah ! Monsieur de Voltaire, lui dis-je, et aussi à quelques révérends pères, dont les enfans vous ont assez joliment élevé. Il me dit beaucoup de bien d’eux. Vous venez de Venise ? Avez-vous vu le procurateur Pococurante ? Non, lui dis-je, je ne me souviens pas de lui. Vous n’avez donc pas lu Candide ? me dit-il en colère : car il y avoit un tems où il aimoit toujours le plus un de ses ouvrages. — Pardon, pardon, Monsieur de Voltaire, j’étois en distraction ; je pensois à l’étonnement que j’éprouvai quand j’entendis chanter la Jérusalem du Tasse aux gondoliers Vénitiens. — Comment donc ? expliquez-moi cela, je vous prie. Tel que jadis Ménalque et Mœlibée, ils essaient la voix et la mémoire de leurs camarades, sur le Canal grande, pendant les belles nuits de l’été. L’un commence en manière de récitatif, et un autre lui répond et continue. Je ne crois pas que les fiacres de Paris sachent la Henriade par cœur, et ils entonneroient bien mal ses beaux vers, avec leur ton grossier, leur accent ignoble et dur, et leur gosier et leur voix à l’eau-de-vie. — C’est que les Welches sont des barbares, des ennemis de l’harmonie, des gens à vous égorger. Monsieur. Voilà le peuple, et nos gens d’esprit en ont tant, qu’ils en mettent