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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/108

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— Viens, je veux te faire voir que tu t’es trompée.

Je me levai sur-le-champ et j’aidai Suzon à en faire autant, non sans lui avoir auparavant porté sous la jupe une main qu’elle repoussa en folâtrant.

— Où vas-tu donc me mener ? me demanda-t-elle, voyant que je prenais le chemin de la maison.

La petite friponne croyait que j’allais la mener dans l’allée : elle m’y aurait suivi. Que j’aurais bien mieux fait d’y aller ! Mais je n’étais pas assez expérimenté pour voir qu’elle ne demandait pas mieux. Je craignais quelque nouvelle résistance de sa part, et mon destin m’entraînait. Je lui répondis que j’allais la mener dans un lieu où elle verrait quelque chose qui lui ferait plaisir.

— Où donc ? me répondit-elle avec impatience, voyant que j’avançais toujours vers la maison.

— Dans ma chambre, lui répondis-je.

— Dans ta chambre ? me dit-elle ; oh ! Je n’y veux pas aller ! Tiens, Saturnin, cela est inutile : tu me ferais quelque chose !

Je lui jurai que non, et je connus, à l’air dont elle consentait à y venir, qu’elle était moins fâchée de m’y suivre qu’elle ne l’aurait été si, en lui promettant d’être sage, je ne lui avais pas donné un prétexte pour s’y laisser conduire. Que je me rappelle avec plaisir ces traits charmants de mon enfance ! L’habitude d’accorder tout à mes passions et l’usage le plus immodéré des plaisirs n’ont point émoussé dans mon cœur ma sensibilité pour ces précieux instants de ma vie.

Nous entrâmes dans ma chambre sans avoir été aperçus ; je tenais Suzon par la main, elle tremblait ; je marchais sur la pointe des pieds, elle m’imitait ; je lui fis signe de ne point parler, et, la faisant asseoir sur