Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/258

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voir lui cacher les dispositions où mon cœur était de retomber dans la même faute. L’âge, en tempérant sa vivacité, n’avait rendu ses grâces que plus mâles et plus touchantes. Sa présence ralluma mes désirs ; ils m’entraînaient tous les jours au même endroit, et tous les jours je l’y voyais, aussi attentif à me regarder et aussi tendre dans ses regards. Je m’étais fait violence pour contraindre les miens la première fois que je l’avais vu ; son assiduité me rendit à la fin cette violence impossible : je ne lui cachai plus ce qui se passait dans mon cœur, et mes yeux lui firent sentir combien j’étais mécontente de sa lenteur à m’apprendre de bouche les mouvements du sien. Il m’entendit, et profitant un jour du moment que j’allais sortir de l’église, au désespoir de l’inutilité de mes avances, il me suivit dans un détour obscur et solitaire par où j’allais passer ; il m’aborda d’un air timide et me dit :

— Charmante Monique, un homme qui, pour la première fois qu’il a eu le bonheur de vous voir, a mérité votre colère, peut-il aujourd’hui, sans courir le même risque, se présenter à vos yeux ? Ah ! si le repentir le plus vif peut me faire oublier ma faute, vous devez me voir sans indignation !

Sa voix était tremblante. J’eus pitié de lui. Je lui répondis que le galant homme faisait oublier l’imprudence du jeune homme.

— Vous ne connaissez pas toutes mes fautes, reprit-il ; votre bonté vient de me pardonner un crime ; j’ai plus besoin que jamais de cette bonté, puisque je me suis rendu coupable d’une nouvelle offense.

Il se tut après ces mots, et, quoique je l’entendisse, je lui répondis que je ne connaissais pas cette nouvelle offense dont il voulait me parler.