même, mon amour était devenu capable de tout entreprendre.
On ne me soupçonnait pas de voir Verland, et
je le voyais tous les jours. Je ne pouvais plus vivre
sans lui ; il ne pouvait plus vivre sans moi. Croirais-tu
que jusqu’alors j’eus assez de pouvoir sur moi-même
pour ne pas céder à ses instances, et pour rejeter,
quoique ce fut le but de tous mes désirs, le seul moyen
de mettre ma mère à la raison ? Mais, attendrie par les
larmes de mon amant, pressée par son amour, vaincue
par mon penchant, je prêtai l’oreille à la proposition
qu’il me fit de m’enlever : nous convînmes du jour, de
l’heure et des moyens.
La violence de mon amour ne me laissait voir que les plaisirs que je goûterais avec mon amant. L’antre le plus affreux me paraissait un lieu enchanté, pourvu que j’y fusse avec lui. Le jour arriva. Je me disposais à m’aller jeter dans ses bras, j’allais sortir, un bras invisible m’arrêta, ma passion avait jonché de fleurs la route du précipice où j’allais m’abîmer, mais quand je fus arrivée sur le bord, quand j’eus porté les yeux sur sa profondeur, elle m’effraya, je reculai, étonnée, et rougissant de mon peu de courage, je voulus vaincre ma timidité, je voulus étouffer ma raison ; elle triompha, je cédai, je rentrai. Mes larmes coulèrent alors en abondance. Indignée de ma lâcheté, je faisais de nouveaux efforts, je m’encourageais et je m’effrayais. Mon âme était dans un accablement qui ne peut être comparé qu’à celui que je prouvai hier. Cependant l’heure avançait : il fallait me déterminer. Quel parti prendre ? Hélas ! j’étais dans un désespoir stupide, qui m’ôtait jusqu’à la liberté de penser. Un rayon de lumière m’éclaira dans le moment et me rendit toute ma tranquillité : je vis un moyen d’être à mon amant et de