Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/275

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m’en procurer un meilleur. Quelques connaissances que j’avais à Paris auraient pu m’y servir, mais il était dangereux de les employer.

Moyennant un retour raisonnable, j’avais troqué à la friperie mon habit de paysan contre un plus honnête. Heureux si, en quittant le froc, j’avais aussi quitté les inclinations qui le dominent ! Le noir chagrin qui me dévorait me faisait croire que j’étais venu à bout de déraciner cette mauvaise tige, ou que j’en triompherais aisément. Je l’avais même juré ; je voulais m’enchaîner par un serment, moi que les liens les plus respectables n’avaient pu retenir. Que l’homme est faible !

Aujourd’hui dans un casque et demain dans un froc,
Il tourne au moindre vent et tombe au premier choc.

Je tombai ; le choc ne fut pas bien violent, puisque ce ne fut qu’un coup de coude qu’une coquine me donna en me disant :

— Monsieur l’abbé, voulez-vous payer une salade ?

— Plutôt deux, répondis-je, emporté par un mouvement naturel.

La réflexion vint aussitôt à mon secours, mais trop tard ; j’étais trop engagé pour reculer.

Nous entrâmes dans une allée obscure et étroite, et je pensai mille fois me rompre le col dans un escalier tortueux dont les marches glissantes et inégales me faisaient trébucher à chaque pas. Ma donzelle me tenait par la main. J’avouerai naturellement ne m’étant jamais trouvé en pareil cas, je ne pouvais me défendre d’un certain effroi qui parut de bon augure à ma conductrice. Elle en aurait ri, si elle eût connu ma qualité. Nous arrivâmes enfin avec bien de la peine à la porte du temple. Nous frappâmes ; une vieille, plus vieille que