dans ceux de l’indigence. Je ne l’aurais sentie que trop
tôt, si je n’eusse lié connaissance avec une fille, que les
hasards du même métier que je fais aujourd’hui avaient
rendue compagne de mon sort. La misère me tint lieu
de penchant.
N’en exige pas davantage. La vie de ta malheureuse Suzon n’a plus été qu’un enchaînement de plaisirs et de chagrins, ou plutôt que des chagrins continuels. Si le plaisir s’est fait sentir quelquefois à mon cœur il n’a fait que colorer le fond de tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse ? Ah ! puisque je te retrouve, je ne dois plus me plaindre ! Mais toi, mon cher frère, ne me fais pas languir : es-tu sorti de ton couvent ? Quel hasard te conduit à Paris ?
— Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, et que m’a causé ta meilleure amie.
— Ma meilleure amie ! reprit-elle en soupirant. En ai-je encore dans le monde ? Ah ! ce ne peut être que la Sœur Monique !
— Elle-même, lui répliquai-je, mais ce récit nous tiendrait trop de temps ; soupons.
Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. Mais l’envie de me voir seul avec elle et, de son côté, celle d’apprendre mes aventures, nous fit sortir promptement de table. Nous nous retirâmes dans sa chambre, où, sans témoin, sur un lit, digne meuble de l’endroit où nous étions, et qui assurément n’avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant ma chère sœur sur mes genoux, et mon visage presque toujours collé sur son visage, je lui racontai ce qui m’était arrivé depuis ma sortie de chez Ambroise.
— Je ne suis donc plus ta sœur ? s’écria-t-elle quand j’eus fini.