Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/49

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tait tous deux. Il faut que le plaisir qu’ils goûtaient soit bien grand. Ah !… qu’ils étaient heureux ! L’idée de ce bonheur m’absorbait ; elle m’ôtait pour un moment tout pouvoir d’y réfléchir. Un silence profond succédait à mes exclamations. Ah ! reprenais-je aussitôt, ne serai-je jamais grand, pour en faire autant à une femme ? Je mourrais sur elle de plaisir, puisque je viens d’en avoir tant. Ce n’est là sans doute qu’une faible image de celui que le Père Polycarpe goûtait avec ma mère ; mais, poursuivais-je, je suis bien simple ! Est-il absolument nécessaire d’être grand pour avoir ce plaisir-là ? Pardi ! il me semble que le plaisir ne se mesure pas à la taille ; pourvu que l’on soit l’un sur l’autre, cela doit aller tout seul !

Sur-le-champ il me vint dans l’esprit de faire part de mes nouvelles découvertes à ma sœur Suzon ; elle avait quelques années de plus que moi : c’était une petite blonde fort jolie, qui portait une de ces physionomies ouvertes que l’on serait tenté de croire niaises, parce qu’elles paraissent indolentes. Elle avait de ces beaux yeux bleus, pleins d’une douce langueur, qu’il semble que l’on tourne sur vous sans intention, mais dont l’effet n’est pas moins sûr que celui des yeux brillants d’une brune piquante qui vous lance des regards passionnés. Pourquoi cela ? Je n’en sais rien, car je me suis toujours grossièrement contenté du sentiment, sans être tenté d’en pénétrer la cause. Ne serait-ce pas parce qu’une belle blonde, avec ses regards languissants, semble vous prier de lui donner votre cœur, et que ceux d’une brune veulent vous l’enlever de force ? La blonde ne demande qu’un peu de compassion pour sa faiblesse, et cette façon de demander est bien séduisante ; vous croyez ne donner que la compassion, et