pensait pas alors que je méditais de cueillir la fleur la
plus précieuse de son bouquet. Je volai à elle ; la voyant
toute entière à une occupation aussi innocente, je
balançai dans le moment si je lui ferais connaître mon
dessein. À mesure que j’approchais, je sentais ralentir
la vivacité de ma course. Un tremblement soudain semblait
me reprocher mon intention. Je croyais devoir
respecter son innocence, et je n’étais retenu que par
l’incertitude du succès.
Je l’abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettait pas de dire deux mots sans reprendre haleine.
— Que fais-tu donc là, Suzon ? lui dis-je en m’approchant d’elle et voulant l’embrasser.
Elle s’échappa en riant et me répondit :
— Comment ! ne vois-tu pas que je cueille des fleurs ?
— Ah ! ah ! repris-je, tu cueilles des fleurs ?
— Eh ! vraiment oui, me répliqua-t-elle ; ne sais-tu pas que c’est demain la fête de ma marraine ?
Ce nom me fit trembler, comme si j’eusse craint que Suzon ne m’échappât. Mon cœur s’était déjà fait (si j’ose me servir de ce terme) une habitude de la regarder comme une conquête sûre ; et l’idée de son éloignement semblait me menacer de la perte d’un plaisir que je regardais comme certain, quoique je n’en eusse pas encore goûté.
— Je ne te verrai donc plus, Suzon ? lui dis-je d’un air triste.
— Pourquoi donc, me répondit-elle, ne viendrai-je pas toujours ici ? Mais, allons, poursuivit-elle d’un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet.
Je ne lui répondis qu’en lui jetant quelques fleurs au visage ; aussitôt elle de m’en jeter aussi.