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Histoire de Dom B…


le : mais nous ne nous rebutâmes pas, Suzon tâchoit de rendre la route plus large, je faiſois des efforts plus violens, elle les ſecondoit. Déja j’avois fait la moitié de ma courſe, Suzon rouloit ſur moi des yeux mourans, ſon viſage étoit enflammé, elle ne reſpiroit que par intervalles, elle me renvoyoit une chaleur prodigieuſe, je nageois dans un torrent de délices ; mais j’en eſpérois encore de plus grandes, je me hâtois de les goûter. O Ciel ! des momens ſi doux devoient-ils être troublés par le plus cruel des malheurs ? Je pouſſois avec ardeurs : mon lit, ce malheureux lit, ce témoin de mes tranſports & de mon bonheur, nous trahit : il n’étoit que de ſangle, la cheville manqua, nous tombâmes avec un bruit affreux. Cette chûte m’eût été favorable, puiſqu’elle m’avoit fait entrer juſqu’où je pouvois aller, quoiqu’avec une extrême douleur pour tous les deux. Suzon ſe faiſoit violence pour retenir ſes cris : effrayée, elle tâchoit de s’arracher de mes bras ; j’étois furieux d’amour & de déſeſpoir, & je ne la ſerrois que plus étroitement, mon opiniâtreté me coûta cher.

Toinette avertie par le bruit accourt, ouvre, entre & nous voit. Quel ſpec-