vivacité de ma courſe. Un tremblement
ſoudain ſembloit me reprocher
mon intention. Je croyois devoir reſpecter
ſon innocence, & je n’étois retenu
que par l’incertitude du ſuccès. Je
l’abordai, mais avec une palpitation
qui ne me permettoit pas de dire deux
mots ſans reprendre haleine. Que faiſois-tu
donc là, Suzon, lui dis-je, en
m’aprochant d’elle, & voulant l’embraſſer :
elle s’échapa en riant ; & me
répondit : comment ? ne vois-tu pas que
je cuëille des fleurs ? Ah, ah, repris-je,
tu cuëilles des fleurs ; hé, vrayement
oui, me repliqua-t’elle, ne ſais-tu
pas que c’eſt demain la fête de ma
Maraine ; ce nom me fit trembler comme
ſi j’euſſe craint que Suzon ne m’échapât.
Mon cœur s’étoit déja fait (ſi
j’oſe me ſervir de ce terme) une habitude
de la regarder comme une conquête
ſûre, & l’idée de ſon éloignement
ſembloit me menacer de la perte
d’un plaiſir que je regardois comme
certain, quoique je n’en euſſe pas encore
goûté. Je ne te verrai donc plus,
Suzon, lui dis-je, d’un air triſte ? Pourquoi
donc ? me répondit-elle, ne viendrai-je
pas toûjours ici : mais, allons,
pourſuivit-elle d’un air charmant, aide-
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Portier des Chartreux.