Sœur, je ne veux que le feu de mes baiſers
pour lui rendre la chaleur, je la
preſſe contre mon ſein j’arroſe ſon viſage
de mes larmes : elle ouvre des yeux
humides de pleurs. Laiſſe-moi, Saturnin,
me dit-elle laiſſe une malheureuſe !
Chere Sœur, m’écriai-je, la vûë
de Saturnin t’inſpire-t’elle de l’horreur ?
Tu lui refuſe tes baiſers, tu lui refuſe
tes careſſes. Senſible à mes reproches,
elle donna les marques les plus vives de
ſa joye : la gayeté reparut ſur ſon viſage ;
elle ſe repandit juſques ſur la vieille,
à qui je donnai de nouvel argent
pour nous aprêter à ſouper. J’aurois
donné tout : je retrouvois Suzon, n’étois-je
pas aſſez riche ?
On preparoit le ſouper : je tenois toûjours Suzon dans mes bras. Nous n’avions pas encore eu la force d’ouvrir la bouche pour nous demander quelles avantures pouvoient nous raſſembler ſi loin de notre patrie : nous nous regardions, nos yeux étoient les ſeuls interprêtes de nos ames, ils verſoient des larmes de joye & de triſteſſe, nous n’étions occupés que de ces deux paſſions, notre cœur étoit ſi rempli, notre eſprit ſi occupé, que notre langue étoit comme liée, nous ſoupirions ; ſi nous