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Histoire de Dom B…


où tu me faiſois une peinture ſi naïve de ta paſſion naiſſante : je t’adorois dès ce tems-là, quand je te racontois les avantures de Monique, quand je te découvrois nos miſteres les plus cachés, je voulois t’enflammer, je voulois t’inſtruire, je voyois avec plaiſir l’effet de mes diſcours : j’ai été témoin de tes tranſports avec Madame Dinville, les careſſes que tu lui faiſoient étoient autant de coups de poignard que tu portois à Suzon. Quand je t’entraînai dans ma chambre, j’étois dévorée par un feu que tu ne pouvois plus éteindre ; c’eſt ici l’époque de mes infortunes.

Tu as toûjours ignoré la cauſe de ce bruit affreux que nous entendîmes ; c’étoit l’Abbé Fillot, ce ſcélérat vomi par les enfers, pour faire le ſuplice de mes jours. Il avoit conçu pour moi un amour qu’il vouloit ſatisfaire à quelque prix que ce fut : il avoit choiſi la nuit pour l’exécution de ſon deſſein, il s’étoit caché dans la ruelle du lit, il profita de ta fuite pour venir ſe mettre à ta place. Hélas ! il eût bon tems d’une malheureuſe que la frayeur avoit fait évanoüir : il fit ce qu’il voulut. Ranimée par le plaiſir & trompée par ma paſſion, je crus le recevoir de mon