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Portier des Chartreux.


n’as guéres d’amour, ſi tu peux me conſeiller d’étouffer le mien, & dans quelles circonſtances, quand rien ne s’opoſe à notre bonheur ? Rien ne s’opoſe à notre bonheur, reprit-elle, ah, que ne dis-tu vrai ! Dans le moment je vis des larmes couler ſur ſon viſage : je la preſſai de m’en expliquer la cauſe ; voudrois-tu, me dit-elle, partager avec moi le triſte prix de mon libertinage, & quand tu le voudrois, aurois-je la cruauté d’y conſentir. Tu crois lui repondis-je, m’arrêter par une raiſon auſſi foible : je partagerois la mort avec ma Suzon, & je craindrois de partager ſes malheurs ! Sur le champ je la renverſe ſur le lit, & je me mets en état de lui prouver que je ne crains pas le danger. Ah, cher Saturnin, s’écrie-t’elle, tu vas te perdre ! Je me perdrai, lui dis-je, tranſporté d’amour ; mais ce ſera dans tes bras : elle céde, je pouſſe ; qu’on me permette d’imiter ici ce ſage Grec, qui peignant le Sacrifice d’Iphigenie, après avoir épuiſé ſur le viſage des Aſſiſtans tous les traits qui caracteriſoient la douleur la plus profonde, couvrit celui d’Agamemnon d’un voile, laiſſant habilement aux Spectateurs le plaiſir d’ima-