Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/128

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d’être avec elle, et j’avais la simplicité de regarder comme l’effet de quelque sortilège ce qui n’était que l’effet de mon tempérament et de l’attrait des plaisirs. — Suzon, dis-je à ma sœur d’un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon ; tes yeux se couvrent de larmes quand tu me vois ; est-ce moi qui les fais couler ? — Oui, c’est toi, me répondit-elle ; je rougis de te l’avouer, cruel Saturnin, oui, c’est toi qui me les arraches ; c’est toi qui me désespères et qui vas me faire mourir de douleur. — Moi, m’écriai-je ; juste ciel ! Suzon, oses-tu me faire de pareils reproches ? Les ai-je mérités, moi qui t’aime ? — Tu m’aimes, reprit-elle ; ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai ! Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu m’aimais, l’aurais-tu suivie ? N’aurais-tu pas imaginé un prétexte pour venir me trouver quand je suis sortie ? Vaut-elle mieux que moi ? Qu’as-tu fait avec elle toute l’après-dînée ? Qu’as-tu dit ? Pensais-tu à Suzon qui t’aime plus que sa vie ? Oui. Saturnin, je t’aime ; tu m’as inspiré une si forte passion, que je mourrais de douleur si tu n’y répondais pas. Tu te tais ? poursuivit-elle ; ah : je le vois, ton cœur ne se faisait pas de violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t’aime, je n’en saurai douter ; tu l’aimes aussi : tu n’étais occupé que du plaisir qu’elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu m’allais causer. Attendri par ses re-