Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/196

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n’es pas le premier qui m’ait fait goûter les plaisirs de l’amour ? Rassure mon cœur contre une crainte dont on ne peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage une tristesse que je n’ai pu te cacher. Oui, c’est cette seule crainte qui m’inquiète à présent ; celle de mon sort ne m’occupe plus, puisque je suis avec toi. — Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu étales à mes yeux ? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur effet ! Oui, l’ardeur qu’ils m’inspirent est trop forte pour ne pas s’indigner d’une pareille crainte. Que tu me connais peu ! Si un préjugé ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à foutre, ce préjugé n’est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé d’autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer ? Quand tu l’aurais fait avec toute la terre, n’es-tu pas toujours la même, n’es-tu pas toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux ? Les plaisirs que tu as donnés à d’autres ont-ils altéré la vivacité de ceux que tu viens de me donner ? — Tu m’enlèves, me répondit-elle ; je ne fais plus de difficulté de t’apprendre des infortunes que tu viens de faire cesser.

Elle me raconta ce qui suit :

Mon malheur a sa source dans mon cœur. Un penchant invincible pour le plaisir ne me fait respirer que pour lui. Une mère injuste et cruelle m’avait confinée dans un cloître. Trop timide