Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/202

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Peut-être aurais-je été plus heureuse dans un pays inconnu : tout à moi-même, n’écoutant que mon amour pour un mari qui m’aurait adorée, je n’aurais pas été esclave de ces apparences qui m’ont perdue ? Mais pourquoi m’abuser ? J’aurais porté dans un climat étranger le même cœur, la même fureur pour l’amour, et ce caractère m’y aurait perdue comme il l’a fait ici.

Je fis à Verland le signe dont nous étions convenus, en cas d’inexécution du projet : je remis au lendemain à l’informer de mes raisons. Nous nous trouvâmes à l’église, il m’aborda sans dire mot ; son visage exprimait la douleur ; je fus effrayée. — M’aimez-vous ? lui dis-je. — Si je vous aime ! me répondit-il avec un transport de désespoir qui l’empêcha d’en dire davantage. — Verland, repris-je, je lis votre douleur dans vos yeux, mon cœur en est déchiré ; plaignez-moi, plaignez-vous d’un défaut de courage qui nous arracherait à notre passion, si le désespoir ne m’avait pas suggéré le moyen de nous conserver l’un à l’autre. Je ne doute pas de votre tendre amour, mais j’en veux une preuve, puisqu’une mère cruelle s’oppose à nos désirs. Ah ! Verland, le rouge qui me couvre le visage ne vous dit-il pas quel est le moyen que je veux employer ? — Chère Monique, me dit-il en me serrant la main, ton amour te fait il sentir la nécessité d’une chose que je t’ai en vain souvent proposée ? — Oui, lui répondis-je, vous ne vous plaindrez plus ; mais