Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/218

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Je fis à côté de Suzon le repas le plus délicieux de ma vie. L’envie de me voir seul avec elle et, de son côté, celle d’apprendre mes aventures, nous firent quitter promptement la table. Nous nous retirâmes dans sa chambre, où, sans témoins, sur un lit, digne meuble de l’endroit où nous étions, et qui n’avait jamais servi à deux amants aussi tendres, tenant Suzon sur mes genoux, et mon visage collé sur le sien je lui racontai mes aventures depuis ma sortie de chez Ambroise.

— Je ne suis donc plus ta sœur ? s’écria-t-elle quand j’eus fini. — Ne regrette pas, lui dis-je, une qualité que le sang donne, et rarement le cœur ; si tu n’es plus ma sœur, tu es toujours l’idole de mon cœur. Chère âme, continuai-je en la pressant tendrement dans mes bras, oublions nos malheurs, et commençons à compter notre vie du jour qui nous a rassemblés. En lui disant ces mots, je baisai sa gorge ; j’avais déjà ma main entre ses cuisses : — Arrête, me dit-elle en s’échappant de mes bras, arrête ! — Cruelle ! m’écriai je, quelles grâces aurais je donc à rendre à la fortune si tu rebutes les témoignages de mon amour ? — Étouffe, me répondit-elle, des désirs que je ne pourrais écouter sans être criminelle ; fais un effort sur ta passion : je t’en donne l’exemple. — Ah ! Suzon, lui répliquai-je, tu n’as guère d’amour si tu peux me conseiller d’étouffer le mien ! Et dans quelles circonstances ? Quand rien