Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/220

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sible, elle sera toujours au dessous de mes délices Mais quel démon jaloux de ma tranquillité me présente sans cesse un souvenir que j’arrose de larmes de sang ? Ah ! finissons, je succombe à ma douleur.

Le jour vint avant que nous nous fussions aperçus que la nuit avait disparu. J’avais oublié mes chagrins, l’univers entier, dans les bras de Suzon, — Ne nous quittons jamais, mon cher frère, me disait-elle ; où trouveras-tu une fille plus tendre ? où trouverais-je un amant plus passionné ? Je lui jurais de vivre toujours avec elle ; je le lui jurais, hélas ! et nous allions nous quitter pour ne nous jamais revoir. L’orage grondait sur nos têtes, le charme de l’illusion le dérobait à nos yeux. — Sauvez-vous, Suzon, vint nous dire une fille épouvantée sauvez-vous, fuyez par l’escalier dérobé ! Surpris, nous voulûmes nous lever : il n’était plus temps ; un archer féroce entrait au moment où nous nous levions. Suzon, éperdue, se jette dans mes bras : il l’en arrache malgré mes efforts, il l’entraîne. Cette vue me rend furieux ; la rage me prête des forces, le désespoir me rend invincible. Un chenet, dont je me saisis, devient dans mes mains une arme mortelle. Je m’élance sur l’archer. Arrête, malheureux Saturnin ! Il n’est plus temps, le coup est porté, le ravisseur de Suzon tombe à mes pieds. On se jette sur moi, je me défends, je succombe, je suis pris. On me lie ; à peine me laisse-t-on la liberté de prendre la moitié de mes