Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/223

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va me servir cette liberté que vous me donnez ? Dans l’état cruel où je suis, c’est le présent le plus funeste que vous puissiez me faire. Mais, monsieur, oserais-je vous demander le sort d’une jeune personne que l’on doit avoir amenée ici le même jour que moi ? — Il est plus heureux que le vôtre, me répondit-il brusquement ; elle est morte dans les remèdes. — Elle est morte, repris-je, accablé de ce dernier coup ; Suzon est morte ! Ah ciel ? et je vis encore ! J’aurais dans le moment terminé mes jours si l’on n’avait arrêté l’effet de mon désespoir. On me sauva de ma propre fureur, et l’on me mit dans le chemin de profiter de la permission que l’on venait de me donner, c’est-à-dire à la porte.

Je restai un moment anéanti ; mes yeux seuls, en répandant un torrent de larmes, témoignaient que je vivais encore ; j’étais au dernier degré du désespoir et de la rage. Couvert d’un malheureux habit, ayant à peine de quoi vivre un jour et ne sachant où aller, je m’abandonnai dans les bras de la Providence. Je prenais le chemin de Paris, j’aperçus les murs des Chartreux ; la profonde solitude qui y règne fit briller à mon esprit un trait de lumière. Heureux mortels ! m’écriai-je, qui vivez dans cette retraite à l’abri des fureurs et des revers de la fortune, vos cœurs purs et innocents ne connaissent pas les horreurs qui déchirent le mien. L’idée de leur félicité m’inspira le désir de la partager. J’allai me jeter aux