Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/43

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contre le penchant de leur cœur. Mais doit-on leur envier leur bonheur ? Non. Qu’elles jouissent du fruit de leur sagesse : elles rachètent assez cher, puisqu’elles ne connaissent pas le plaisir. Eh ! qu’est-ce que cette sagesse, après tout, dont on nous étourdit les oreilles ? Une chimère, un mot consacré à exprimer la captivité où l’on retient notre sexe. Les éloges que l’on fait de cette vertu imaginaire sont pour nous ce qu’est pour un enfant un hochet qui l’amuse et l’empêche de crier. Des vieilles que l’âge a rendues insensibles au plaisir, ou plutôt que la retraite leur interdit, croient se dédommager de l’impuissance de le goûter par les portraits hideux qu’elles nous en font. Laissons-les dire, Suzon. Quand on est jeune, on ne doit avoir d’autre maître que son cœur : ce n’est que lui qu’il faut écouter, ce n’est qu’à ces conseils qu’il faut se rendre. Tu croiras facilement qu’ayant de pareilles inclinations, il ne fallait pas moins que la contrainte d’un cloître pour m’empêcher de m’y livrer ; mais c’est dans le lieu même où l’on voulait étouffer mes désirs que j’ai trouvé le moyen de les satisfaire.

Toute jeune que j’étais, quand ma mère, après la mort de son quatrième mari, vint demeurer dans ce couvent en qualité de dame pensionnaire, je ne laissai pas d’être effrayée de la résolution qu’elle avait prise. Sans pouvoir distinguer le motif de ma frayeur, je sentais qu’elle allait me rendre malheureuse. L’âge en me donnant des