Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/78

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des difficultés qu’on lui oppose, et va quelquefois plus loin que la réalité ; mais avec un homme, une femme du caractère de la supérieure, de celui du père Jérôme, je craignais moins d’en trop penser que de n’en pas penser assez. Leur liaison ne me laissait pas douter que le directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre elle et la mère Angélique. Le prompt châtiment de celle-ci confirma mes soupçons ; elle expia dans une chambre obscure le crime de m’avoir déplu et d’avoir enlevé à la supérieure le cœur d’un amant confirmé dans ses bonnes grâces.

Je me repentis bientôt de ma sottise ; je m’étais toujours flattée que l’orage ne tomberait que sur la mère Angélique : il alla plus loin. Le père, outré de se voir enlever sa maîtresse, soupçonna Martin de la cause de son malheur : il le sacrifia à son ressentiment en le chassant ; je ne l’ai plus revu depuis.

Voilà mon histoire, ma chère Suzon, poursuivit la sœur Monique ; je ne te recommande pas le secret ; tu es intéressée à le garder ; te voilà associée à mes plaisirs ! Hélas ! je n’ai presque pas joui depuis que j’ai perdu mon amant. Que n’est-il ici, continuait-elle en me baisant, je le mangerais de caresses !

Le souvenir de Martin l’animait : ses discours avaient produit sur moi le même effet. Nous nous trouvâmes, sans y penser, disposées à ne pas attendre au lendemain pour célébrer la perte de