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— il n’est si bonne compagnie qu’il ne faille quitter !

Et, tout en réitérant la promesse vingt fois demandée de venir souvent se retremper au sein de l’amitié, il pria son hôte de lui faire seller son cheval, afin de pouvoir rentrer avant la grosse nuit au bourg, où son absence devait être commentée de cent façons différentes.

Ce n’était pas précisément une promenade agréable, ce trajet de plusieurs heures sur un chemin tantôt caillouteux comme le lit d’un torrent desséché, tantôt fangeux comme le fond d’une mare. Un peu sentier, un peu ruisseau, côtoyant ici les moraines boisées, là les champs nouvellement labourés, la route s’en allait droit devant elle, n’évitant ni les montées ni les descentes, fuyant les détours, n’ayant en un mot qu’un but : celui d’arriver en coupant au plus près.

Non, en vérité, ce n’était pas une simple promenade ; mais mons Rustique, aussi bien que son cavalier d’occasion, avait ce jour-là d’excellentes raisons de prendre les choses du bon côté. Elle aussi, l’heureuse bête, avait trouvé bon gîte et bonne compagnie chez l’opulent magistrat. Jamais meilleure chance ne lui était advenue ! Avoir vécu, pendant deux jours sur un pied d’intime égalité avec Ma Joson, la jument douairière de monsieur le Juge ! s’être gorgée de bon foin, grisée d’avoine, avoir dormi tout de son long sur une litière chaude et moelleuse comme un matelas ! n’y avait-il pas de quoi se sentir rajeunie de huit ou dix années ?…