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rappeler comment cette triste aventure vous est arrivée, n’est pas une chose absolument gaie ; aussi, fut-ce l’âme toute bouleversée que le tabellion jeta machinalement un regard autour de lui.

C’était un pré immense, celui au bord duquel il était tombé, un pré plat, sans arbres, sans maison, entouré seulement d’un fouillis de broussailles et coupé dans toute sa longueur par le lit profond d’un étroit ruisseau roulant jusque-là à travers les châtaigneraies de la montagne.

Tout endolori, ne sachant point encore où il se trouvait, maître Jean n’éprouvait pas moins déjà un soulagement inconscient à ne plus être en proie aux sinistres visions qui précédèrent sa chute. Incapable de coudre une pensée à l’autre, il était dans l’état de quelqu’un qui s’éveille après un long cauchemar : quelques lueurs de vérité traversent les brouillards du songe, les faits réels se mélent et se confondent aux terribles péripéties du rêve ; l’être dédoublé, pour ainsi dire, paraît vivre à la fois ici et ailleurs, sans que rien de complet et de logique se présente à son esprit troublé.

Mais survient-il autour du dormeur un incident matériel quelconque, un bruit, une lueur, une impression de froid ou de chaleur ? subitement, sous l’impulsion d’une force invisible produisant un ébranlement douloureux, l’hallucination cesse, l’intelligence reprend possession d’elle-même, et les sens, un moment paralysés, recouvrent leurs facultés normales.