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du caractère le plus paisible, que le silencieux voiturier continuait à demeurer assis ferme et droit comme une barre de fer ; lorsqu’enfin notre peureux notaire eut bien constaté que la fille pâle se tenait tranquillement dans son coin sans souffler mot, une certaine sécurité succéda en lui aux tremblantes émotions qu’il venait d’éprouver. De là à redevenir lui-même, il n’y avait pas loin. Une fois sur cette pente, ses réflexions le ramenèrent au souvenir de ce passé vieux seulement de quelques heures. Il reconstruisit, instant par instant, cette journée si accidentée, et parvint à se persuader que tout ce qui lui était arrivé restait dans le domaine du possible.

Revenant par la pensée dans la joyeuse demeure de son ami Desmasures, il voyait encore la table garnie de ces mets délicats dont il avait tant apprécié la saveur ; il entendait les gros rires bruyants qui éclataient en chœur à chaque propos grivois, accompagnant le récit des victoires et conquêtes, dont les hôtes du domaine des Blosières se vantaient d’être les héros. Cette vie de jouissance, de volupté, il ne l’avait jamais connue. Dame Innocente, se concentrant dans son avarice, l’avait privé de tous plaisirs pour accumuler les uns sur les autres les écus serrés dans son coffre ou prêtés à la grand’semaine.

Eh bien ! maintenant, de cet argent qui était à lui, qu’il avait dûment gagné par son travail, ses privations et son savoir-faire, il voulait en jouir.