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On entendit comme un hurlement de loup ou un beuglement de taureau irrité sortir de la poitrine de Pierre Descolaz. Il regarda farouchement autour de lui, et se dirigeant d’un pas lourd vers un des angles de la chambre, il se baissa, prit un objet que je ne pouvais voir, et revint vers le lit. Il était terrible sur sa tête nue, ses cheveux gris semblaient s’être hérissés tout d’un coup ; ses lèvres entr’ouvertes paraissaient rire malgré elles, pendant qu’un ruisseau de larmes coulaient sur ses joues blafardes et ridées.

« Monsieur le Curé, dit-il en levant sa main armée d’un marteau de tailleur de pierre, c’est assez comme ça, n’est-ce pas ? Si le bon Dieu ne veut pas le prendre, moi, je vais lui donner…… » Le marteau était juste au-dessus du front de Lallò qui le regardait de ses grands yeux fixes et rouges. Le bras du père allait retomber…… mais, prompt comme la pensée, le prêtre s’élança en retenant la main du malheureux égaré.

« Arrêtez ! arrêtez, Pierre ! cria-t-il, vous seriez un assassin ! Cette vie appartient à Dieu, seul il connaît la minute où l’âme de votre fils doit paraître devant lui !…… »

« Alors, million de tonnerres !… qu’il la fasse sonner vite !… » rugit le paysan, et, pris d’un vertige subit, le pauvre homme chancela un instant comme font ces grands arbres que l’on abat, puis son corps s’en alla rouler devant le lit où râlait son enfant.