Page:Gex - Vieilles gens et vieilles choses (1885).pdf/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 47 —

Ces pensées, je dois le dire, sommeillaient en moi, et ce n’était que de loin en loin, dans mes rêveries enfantines, que je formulais le désir de partager cette vie que je ne connaissais que par ce que je croyais être son beau côté.

Un matin de septembre, à l’heure où les troupeaux partaient pour le pâturage, toute la bande de bergers longeait le chemin du grand village en riant, criant, se bousculant, chassant à grands coups de fouet devant elle les grosses vaches brunes, les bouvillons indociles et les moutons têtus ; pendant que nous les petits messieurs, race parfaitement inutile à cet âge, nous dépouillions les buissons et les haies des mûres noires qui pendaient en bouquets serrés au-dessus des hautes herbes des fossés. C’était un moment charmant pour les courses lointaines ; nous avions de longues heures à dépenser en flânerie avant de penser au retour. Qu’il était bon de partir ainsi sans but et sans autre boussole que notre fantaisie, comme de jeunes oiseaux à la volée, picorant deci, delà, des noix, des pommes, des raisins, jusqu’à ce qu’une faim sérieuse nous ramenât à la bonne table de famille !

Donc, ce jour là, il faisait beau temps, et nous étions en maraude. Tout d’un coup l’un de nous s’écrie : Les Bohémiens ! Les Bohémiens !… Ah ! quelle aubaine ! Une nouvelle à répandre… quelque chose à voir et à raconter ; c’était plus qu’il n’en fallait pour faire frétiller nos cœurs de plaisir ! En effet, une tribu entière de zingari s’avançait