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Au premier moment, je nė vis rien qu’une foule irritée et menaçante, une ou deux femmes qui s’empressaient autour de nous, essuyant avec leur tablier les pleurs et le sang dont nous étions couverts.

La voiture était arrêtée au milieu d’un grand pré ; une vingtaine de personnes, hommes, jeunes gens et enfants, se bousculaient à l’entour, gesticulant et injuriant les bohémiens, lesquels se défendaient de leur mieux à l’aide de leurs fouets dont ils se servaient avec une dextérité supérieure.

Les paysans s’irritaient de ne pouvoir châtier d’une façon exemplaire nos ravisseurs ; les plus échauffés parlaient d’étrangler sur place toute cette vermine ; d’autres voulaient brûler les baraques, les plus raisonnables conseillaient d’aller chercher la justice. Mais comme la discussion se prolongeait sans résultats, Paul Berthier et Benoît Porraz, nos deux fermiers, prirent les devants avec nous. Commodément installés à califourchon sur les épaules robustes de nos sauveurs, entourés de feinmes et de marmots, nous fîmes notre entrée triomphale à Saint-Jeoire où tout le monde était déjà sens dessus dessous par l’annonce de l’événement. L’alerte avait été si chaude pour tous, nous avions tant besoin de respirer un peu librement, et, de leur côté, Paul et Benoit, qui n’avaient cessé de courir depuis le Chaffard, étaient si mouillés de sueur qu’ils jugèrent bon d’accepter l’invitation du père Satin, le maître de l’auberge du Grand-Saint-Georges, le-