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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. III.

des empereurs ; mais il était trop faible pour corriger leurs vices : une force aveugle et irrésistible faisait des troupes un sûr moyen d’oppression ; et les mœurs des Romains étaient si corrompues, qu’il se présentait sans cesse des flatteurs empressés à applaudir aux déréglemens du souverain, et des ministres disposés à servir ses cruautés, son avarice ou ses crimes.

Souvenir de Tibère, Caligula, Néron et Domitien.

L’expérience des Romains avait déjà justifié ces sombres alarmes. Les fastes de l’empire nous offrent un riche et énergique tableau de la nature humaine, que nous chercherions vainement dans les caractères faibles et incertains de l’histoire moderne ; on trouve tour à tour dans la conduite des empereurs romains, les extrêmes de la vertu et du vice ; la perfection la plus sublime, et la dégradation la plus basse de notre espèce. L’âge d’or de Trajan et des Antonins avait été précédé par un siècle de fer. Il serait inutile de parler des indignes successeurs d’Auguste : s’ils ont été sauvés de l’oubli, ils en sont redevables à l’excès de leurs vices et à la grandeur du théâtre sur lequel ils ont paru. Le sombre et implacable Tibère, le furieux Caligula, l’imbécille Claude, le cruel et débauché Néron, le brutal Vitellius[1], le lâche et san-

  1. Vitellius dépensa, pour sa table, au moins six millions st. en sept mois environ. Il serait difficile d’exprimer les vices de ce prince avec dignité, ou même avec décence. Tacite l’appelle un pourceau ; mais c’est en substituant à ce mot grossier une très-belle image : At Vitellius, umbraculus hortorum abditus, ut ignava animalia, quibus si cibum sug-